Colloque international, du 3 au 5 décembre 2026.
Bibliographie
Dans les recherches linguistiques contemporaines, l’étude de l’oral spontané constitue un champ dynamique dont les fondements théoriques et méthodologiques ont été influencés par des traditions scientifiques diverses, souvent ancrées dans des contextes linguistiques et culturels spécifiques. Cette diversité se manifeste dans la richesse des travaux, des projets de recherche et des manifestations scientifiques consacrés à la description de l’oral, qui convoquent une grande variété d’approches méthodologiques et théoriques. Ce colloque international prolonge une réflexion amorcée lors de deux journées d’études organisées à Toulouse (2022) et à Poitiers (2023), consacrées à la linguistique et à la didactique de l’oral spontané en Europe francophone. Les contributions à ces manifestations ont fait l’objet d’une publication dans un numéro thématique des Cahiers d’Études Germaniques (n° 89). Le présent colloque, co-porté par trois universités et laboratoires français (Toulouse, Poitiers, Pau) et une université italienne (Sienne), renforce la dimension épistémologique du projet et s’inscrit dans une dynamique régionale et internationale.
L’objectif de cette manifestation scientifique est de dresser un tableau comparatif des approches appliquées à l’analyse de l’oral à différents niveaux (global, aréal et local), au sein de quatre grands espaces linguistiques européens (francophone, germanophone, anglophone et italophone). Ce colloque vise à explorer les influences croisées, les adaptations, voire les résistances que suscitent les grandes théories de l’analyse de l’oral, souvent d’origine anglo-saxonne/anglophone, dans les cultures scientifiques européennes (sans exclure d’autres approches, nous nous orienterons principalement vers l’analyse conversationnelle / la linguistique interactionnelle, le variationnisme et la linguistique variationnelle ainsi que l’analyse du discours).
Niveau global : une impulsion anglophone
Nous souhaitons tout d’abord mettre en lumière la manière dont des cadres théoriques communs peuvent être différemment intégrés selon les traditions nationales. On observe par exemple une large diffusion de travaux pionniers tels que ceux d’Emanuel Schegloff (1968), de Charles Goodwin (1981) ou encore de John Gumperz (1982) en analyse conversationnelle, ainsi que de William Labov (1966) en sociolinguistique variationniste. Cette dernière, fondée sur l’analyse quantitative de la variation linguistique en contexte social, vise à établir des corrélations entre formes linguistiques et facteurs sociaux (âge, genre, classe, etc.). Elle s’est notamment implantée durablement dans le monde anglophone (Coveney 1997, 2002 ; Armstrong 1996 ; Cheschire 2008 ; Boughton 2015 ; Boughton & Pipe 2020) et a connu une adoption significative au Royaume-Uni, tandis que sa réception en France reste plus limitée. L’analyse conversationnelle et l’analyse du discours (cf. Brown & Yule 1983), également d’origine anglo-saxonne, ont fait l’objet d’une reconfiguration en France, en Italie et dans les pays germanophones.
Niveau aréal : circulations, appropriations, reformulations
Dans chaque espace linguistique, les cadres globaux donnent ainsi lieu à des formes d’appropriation ou de transformation spécifiques. Cette dimension aréale permet donc de penser les connexions entre pays partageant une même langue (par exemple : Suisse, Belgique et France pour l’espace francophone ou bien Suisse, Autriche et Allemagne pour l’espace germanophone), et de voir comment une langue peut structurer une communauté scientifique au-delà des frontières nationales.
Dans les pays germanophones, l’analyse conversationnelle et la linguistique interactionnelle se développent à partir des années 1970 et 1990 respectivement, comme prolongements et adaptations de la Conversation Analysis née aux États-Unis (Baldauf-Quilliatre 2025 ; Imo & Lanwer 2019 ; Deppermann 2014). En parallèle, la pragmatique fonctionnelle (Ehlich & Rehbein 1979 ; Ehlich 2019) apparaît dans les années 1970-80 en réaction aux approches pragmatiques américaines. Puis, sur la base de travaux allemands du début du 20ème siècle, d’autres écoles s’établissent, en particulier dans le domaine de la recherche sur la langue parlée à partir des années 1960 (Bücker 2018 ; Baldauf-Quilliatre 2025 ; Schwitalla 2012 ; Brinker & Sager 2010 ; Fiehler 2000). Enfin, l’analyse du discours germanophone, qui s’inscrit dans la continuité des travaux de Harris (1952) et de Foucault (1966) et se positionne clairement dans le champ de la linguistique (Busse 2013), s’intéresse également à l’étude de l’oral.
En Europe francophone, c’est à travers les travaux de l’équipe du GARS (Blanche-Benveniste et al. 1990 ; Blanche-Benveniste & Jeanjean 1987) que se développe un modèle (macro-)syntaxique pour décrire l’oral, qui peut être mis en parallèle avec celui développé à Fribourg suisse (Reichler-Béguelin 1988 ; Berrendonner & Reichler-Béguelin 1989). Bien que l’oral ne soit pas l’objet central des courants énonciativistes (Benveniste 1966, 1974 ; Ducrot 1984 ; Culioli 1990, 1999a, 1999b), des travaux sur le discours en interaction (Kerbrat-Orrechioni 1986) et sur la variation (Gadet 1997) émergent et donnent lieu à la création de nombreux corpus oraux. Les approches théoriques de l’analyse conversationnelle sont développées, entre autres, par plusieurs groupes de recherche plurilingues dont les membres s’intéressent à l’étude de l’interaction (par exemple ICAR – Interactions, Corpus, Apprentissages et Représentations à Lyon ou LLL – Laboratoire Ligérien de Linguistique à Orléans). En Italie, les études sur l’oral spontané débutent dans les années 1960/1970, s’appuyant sur des travaux antérieurs en phonétique et phonologie. À partir des années 1970/1980, elles s’imposent comme un domaine de recherche à part entière dans le cadre de la sociolinguistique et de la linguistique variationnelle (cf. Bazzanella 1994, 2002 ; Orletti 2000). L’analyse conversationnelle donne par la suite, à partir des années 1990/2000, une nouvelle impulsion pragmatique et discursive aux recherches sur la langue parlée (Cresti et al. 2018 ; Bazzanella 2019). Les contributions de plusieurs centres de recherche ont été particulièrement importantes, tels que le Centro di Studio per le Ricerche di Fonetica (CSRF) du Conseil national de la recherche à Padoue, le Centro Interdipartimentale di Ricerca per l’Analisi e la Sintesi di Segnali (CIRASS) de l’Université de Naples Federico II, tout comme les apports du Gruppo di Studi sulla Comunicazione Parlata (GSCP), qui consacre depuis 2003 ses travaux à la communication orale. Ces développements vont de pair avec l’apparition de nombreux corpus oraux répondant à des objectifs différents. En Europe francophone, on peut notamment citer les corpus ESLO, CFPP 2000, CLAPI, Projet Rhapsodie, PFC, MPF ou encore OFROM. À partir des années 1990 et, surtout au début des années 2000, les premiers corpus oraux voient le jour en Italie (par ex. CLIPS, PAISÀ, KiParla, Lablita). Dans l’espace germanophone, on peut en particulier mentionner la base de données DGD qui rassemble différents corpus oraux (FOLK, Zwirner-Korpus, Pfeffer-Korpus, GeWiss, GWSS, DH) ainsi que le projet ZuMult intégrant aussi la multimodalité (cf. Fandrych et al. 2022). Citons également d’autres initiatives comme ASR-GCSC : A German Conversational Speech Corpus, The Kiel Corpus of Spoken German, le Kiezdeutschkorpus (KiDKo), ArchiMob-Projekt en Suisse, et le projet DAAD Gesprochenes Deutsch für die Auslandsgermanistik à vocation didactique.
Niveau local : transferts méthodologiques et échanges à l’échelle intra-nationale
Enfin, une attention particulière sera portée aux dynamiques locales, aux collaborations concrètes entre chercheurs et chercheuses d’un même pays mais appartenant scientifiquement à différentes aires linguistiques ou culturelles (par exemple, les études anglophones, germaniques et romanes en Italie). L’enjeu est d’identifier les circulations internes aux aires linguistiques géographiques, voire aux espaces nationaux, souvent invisibles dans une approche strictement nationale ou internationale. Que se passe-t-il si un chercheur ou une chercheuse travaille, par exemple, en France sur l’allemand parlé ? Suit-il/elle le cadre « national », s’oriente-t-il/elle sur les méthodes venant de l’espace germanophone ou bien combine-t-il/elle les deux approches ?
AXES DE RÉFLEXION ET SECTIONS ENVISAGÉES
Ce colloque entend explorer cinq domaines structurants des études sur l’oral, qu’on peut envisager du point de vue des différentes théories et méthodologies. Afin de permettre des échanges fructueux entre les intervenant.es, nous souhaitons poser un cadre de réflexion qui se résumera en deux questions épistémologiques principales :
1. Circulations et transferts des théories : importation, adaptation, rejet ou reformulation de théories.
Cet axe propose d’interroger la circulation des théories à travers les aires linguistiques et culturelles : comment des termes, concepts, notions et modèles sont-ils importés, adaptés, contestés ou reformulés dans des contextes spécifiques ? Il s’agira aussi d’identifier les conditions qui favorisent ces circulations ou, au contraire, les freinent. Enfin, il s’agira de voir de quelle manière les approches, les théories ou les méthodologies adoptées s’expriment au travers des travaux de recherche.
2. Pratiques de terrain et collaboration scientifique intra- et inter-aréales.
Il s’agira ici de mettre en lumière les pratiques de terrain, souvent ancrées dans des contextes locaux, mais aussi les formes de collaboration scientifique au sein d’une même aire linguistique ou entre aires différentes. Seront notamment valorisées les recherches impliquant des corpus comparables, les travaux s’intéressant à la manière dont on se positionne par rapport aux trois niveaux d’analyse visés par ce colloque (global, aréal, local) ou encore les communications proposant une réflexion autour de la culture scientifique d’appartenance.
À l’intérieur de chaque domaine thématique, les intervenant.es seront libres de s’appuyer sur un corpus oral ou multimodal et sur un phénomène linguistique de leur choix, à condition d’adopter une approche réflexive sur la culture scientifique qui leur sert de cadre et de mettre en avant les théories et les méthodes employées. Chaque session de communication sera précédée par une conférence plénière donnée par un.e spécialiste du domaine étudié qui évolue dans une université de l’un des pays du colloque (Allemagne, Autriche, Belgique, Italie, France, Suisse et Royaume-Uni).
Session de communications 1 :
Interfaces entre les différents niveaux d’analyse de l’oral
Session de communications 2 :
Annotation et transcription des corpus oraux à travers différentes cultures scientifiques
Session de communications 3 :
Approches méthodologiques de la multimodalité
Session de communications 4 :
Approche variationniste et variationnelle de la langue parlée
Session de communications 5 :
Approches contrastives des corpus oraux et leur exploitation en didactique des langues
Le comité encourage particulièrement les propositions qui articulent analyse linguistique et réflexion épistémologique : circulation ou redéfinition des méthodes, écarts entre traditions disciplinaires, effets de contexte dans l’adoption d’outils ou de notions. Une attention à la variation (diastratique, diatopique, diaphasique, diamésique), à la gestion interactionnelle ou aux pratiques langagières pourra être valorisée, dans une perspective ouverte à la comparaison entre langues, disciplines ou cultures scientifiques.
Dates et modalités de soumission :
Les propositions de communication (titre, mots clés, abstract de 500 mots maximum hors références bibliographiques) seront accompagnées d’une brève bio-bibliographie indiquant le statut, l’affiliation institutionnelle ainsi que les publications significatives. Le comité encourage également les doctorant.es et les étudiant.es en master à soumettre une proposition de poster au lieu d’un abstract.
Les propositions sont à envoyer avant le 1er février 2026 à colloque.toulouse.2026@gmail.com
Langues du colloque : allemand, anglais, français et italien
Voir en ligne : Global, aréal, local : Oral spontané à travers différentes cultures scientifiques
Liens
Site du colloque| Appel à communications (Oral spontané / Toulouse 2026) (PDF - 537.9 kio) |